L’intelligence artificielle bouscule le fonctionnement des entreprises. Le manager, l’entrepreneur, le dirigeant doivent maintenant être des leader capables de maîtriser les enjeux de l’intelligence artificielle.
80% des processus de travail utiliseront de l’intelligence artificiel d’ici 2030. 60% des métiers qui seront exercés en 2030 n’existent pas encore.
Les managers devront se former pour être capable de réfléchir à la division optimale du travail entre les robots et leurs collaborateurs.
Ils auront aussi un rôle important dans l’accompagnement au changement.
Quelles sont les nouvelles compétences du manager 3.0 ?
Dans ce nouvel épisode, nous répondons à la question avec notre invité, Christian du Jardin, CEO de Kera Way Consulting, conseiller de dirigeants/
Episode animé par Morgan Marietti,
Version écrite
Aujourd’hui, nous allons parler d’intelligence artificielle et de son impact sur le management, sur les managers et sur les dirigeants d’entreprise.
Que veut dire manager 3.0 ?
Le manager 3.0 est le manager qui, pour moi, a développé les compétences qui sont spécifiques pour gérer le changement énorme que représentent en général la transformation digitale ou numérique et, en particulier, la montée en puissance de l’intelligence artificielle.
Il est un manager qui est au fait de ce qui se passe, qui a compris un certain nombre de choses et qui a développé des compétences spécifiques pour gérer ce changement assez énorme. Je pense que certains ont pu dire que gérer l’intelligence artificielle avec sa montée en puissance est un tsunami comparé à l’arrivée de l’internet.
Quand nous réfléchissons à ce qu’Internet a changé dans nos vies aujourd’hui et ce depuis maintenant 20-30 ans et que des experts nous disent que l’intelligence artificielle et la transformation digitale vont être encore beaucoup, beaucoup plus fortes, je pense que le job du manager, en général, est d’être attentif à ces changements, de les comprendre, et puis, de mettre en place ce qu’il faut pour réussir le changement pour son entreprise et avec ses équipes.
Qu’est-ce qu’on entend par intelligence artificielle ?
Nous allons quand même revenir un peu sur un contexte et un certain nombre de définitions pour que les gens comprennent un peu de quoi nous allons parler. Pour l’instant, on parle beaucoup de l’intelligence artificielle, nous ne le ressentons peut-être pas dans nos vies de tous les jours. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? Comment peut-on la définir ?
Morgan, tu as tout à fait raison. Je pense que c’est vraiment un concept dont nous parlons beaucoup mais que nous comprenons souvent très mal. C’est relativement classique pour l’homme, et le manager est un humain aussi, nous craignons et nous avons peur de ce que nous ne comprenons pas.
Or, la réalité est que cette intelligence artificielle est déjà présente autour de nous dans toutes sortes de services et d’applications que nous utilisons en tant que consommateurs, citoyens ou managers. Donc il est vraiment important de comprendre ce que c’est.
Dans la première partie de mon livre « Manager 3.0 », j’ai vraiment essayé de démystifier ce concept d’intelligence artificielle. Ma définition : l’intelligence artificielle ce sont des algorithmes, des programmes qui travaillent sur des très, très grandes quantités de données et qui sont capables d’intelligence par apprentissage. Ce qui est vraiment important, c’est cette intelligence par apprentissage.
Nous allons dire qu’une plante est intelligente parce qu’elle est capable de s’adapter à son environnement, tandis qu’une pierre n’est pas intelligente. Un programme de comptabilité ultra sophistiqué mais dont toutes les lignes de code sont fixées, et qui ne s’adapte pas, qui n’apprend pas dans le temps avec des données dont on le nourrit, va être un programme très, très performant mais non intelligent.
Cette notion d’intelligence est importante. L’intelligence est la capacité d’une entité à s’adapter à son environnement. J’ai aussi dit au début que ce sont des programmes. Un robot qui construit des choses sur une chaîne de montage, s’il est juste programmé pour faire toujours la même opération, ce sera un robot et non pas une intelligence artificielle. Par contre, le même robot qui est nourri de programmes pour reconnaître au mieux les pièces qu’il doit manipuler, les formes, les textures, qui s’adapte dans son comportement en fonction de ce qu’il a comme stimuli du monde extérieur, est considéré alors comme un robot qui est animé par de l’intelligence artificielle.
Il y a trois concepts importants à retenir par rapport à l’intelligence artificielle : ce sont des programmes, ils travaillent sur des très, très grandes quantités de données, et ils sont capables d’apprentissage. Nous pouvons donc dire que ce sont des programmes intelligents.
Comment est utilisée l’intelligence artificielle ?
Oui. Est-ce que nous avons des exemples concrets d’intelligence artificielle dans nos vies de tous les jours, des choses qui nous impactent sans que nous ne nous en rendions compte ?
Oui, l’intelligence artificielle est absolument déjà très, très présente autour de nous. Nous le percevons ou nous ne le percevons pas. Je dirais qu’en tant qu’utilisateurs de smartphone, si nous utilisons les fonctions de reconnaissance de la voix, par exemple, pour de la dictée, le programme qui est derrière est un programme qui n’est pas figé, c’est un programme qui va apprendre et qui va s’améliorer au fur et à mesure de votre utilisation. C’est donc un algorithme d’intelligence artificielle qui reconnaît les sons, les transforme en mots, en des phrases qui ont une certaine signification et qui va, à ce moment-là, mettre cela dans un texto, un mail ou autres choses. C’est un premier exemple disponible d’intelligence artificielle.
Voir aussi l’épisode sur le Metaverse : impact pour l’entreprise.
Il faut savoir aussi que les sites évolués, comme Amazon ou Zalando, sont des sites dont les pages et les recommandations sont faites en fonction du parcours du client sur la page, il y a de l’intelligence artificielle derrière pour recommander au shopper, donc à la personne qui est en train de faire son achat, les justes options, prix etc. Ce sont des exemples de notre vie de tous les jours en tant que consommateurs.
Les entreprises sont déjà également loin par rapport à cela, même parfois beaucoup plus loin que ce que nous le pensons. Par exemple, L’Oréal a développé une intelligence artificielle qu’elle a appelée ModiFace et qui est capable, sur base de la photo de votre visage, de reconnaître les signes de vieillissement qui sont spécifiques à chaque visage et qui permettent de faire ensuite, dans un premier temps, un diagnostic et, dans un deuxième temps, des recommandations de soins pour améliorer la problématique du vieillissement.
Qu’a fait donc L’Oréal ? Elle a entraîné un algorithme, un programme à faire le meilleur lien possible entre des photos de visage, des diagnostics et des traitements. Elle a donc nourri de millions de données un programme qui a développé ses propres règles pour lier la photo d’un visage au juste traitement. De nouveau, à partir du moment où ce n’est pas un algorithme qui travaille tout seul à sa propre amélioration par itération, nous pouvons dire que c’est un algorithme d’intelligence artificielle.
Un peu dans le même style, aux États-Unis, il y a des compagnies d’assurance qui vous font des propositions d’assurance auto purement sur la base de deux informations : un selfie et la copie de votre permis de conduire. Quel est l’exercice qui est fait ? Ils ont chargé dans une database des millions de données de selfies, de permis de conduire et d’historiques de conducteurs, et l’intelligence artificielle a créé le modèle qui fait le lien entre le selfie et le profil du conducteur avec, quant à moi, par rapport à ce genre de solutions, toutes les réserves d’utiliser un selfie pour calculer une prime plus ou moins élevée pour le conducteur, parce que nous allons avoir tous les biais possibles et imaginables en matière d’âge, de culture, de race et d’expérience.
L’intelligence artificielle a donc aujourd’hui beaucoup, beaucoup d’utilisations, que nous ne soupçonnons pas souvent, dans notre environnement quotidien.
Il ne faut pas que l’on calcule ma prime d’assurance sur l’état de mon permis, il est passé plusieurs fois à la machine à laver, cela risque de me coûter très cher.
Voilà. Une intelligence artificielle qui ne serait peut-être pas complètement intelligente, en voyant la photo du permis, va dire « ce garçon n’est pas du tout soigneux et complètement distrait », donc dans mon rating pour le calcul de la prime, je vais être un peu plus sévère avec lui. C’est là où on dit « ce n’est pas du tout à fait OK ».
Nous parlerons de l’éthique.
Plus tard dans le podcast, nous parlerons de quelque chose qui m’est énormément cher, c’est le concept d’une intelligence artificielle digne de confiance. Mais avant d’arriver jusque-là, je pense qu’il y a plein d’autres sujets que nous allons aborder.
Je n’ai cassé aujourd’hui aucune voiture et j’ai toujours mes 12 points sur le permis.
Cela va plutôt jouer en ta faveur.
Comment a évolué le rôle du manager ces dernières années et qu’en est-il aujourd’hui et demain ?
L’intelligence artificielle est un sujet très important parce qu’on parle que 80% des processus de travail utiliseront de l’intelligence artificielle d’ici 2030-2035. Cela veut dire que sur le plan humain, les dirigeants ainsi que les managers dans les entreprises vont devoir changer, se former pour installer l’intelligence artificielle au sein des entreprises et faire en sorte que cela se passe bien. Quel est le rôle du manager de demain ? Comment devient-on manager 3.0 ? Qu’est-ce qu’un manager 1.0 et un manager 2.0 ?
Démarrons par ma définition du manager 1.0, 2.0, puis j’aborderai même le 4.0. Pour moi, le manager 1.0 est le manager des années 70-80 qui fonctionne dans une organisation qui est en général hiérarchisée, très pyramidale. C’est le manager qui est dans le « je commande, tu obéis et je contrôle », c’est donc le manager qui manage, qui va effectivement gérer ses équipes et son processus. Un temps, cela a très bien fonctionné. Je dirais qu’il y a quand même beaucoup de choses qui ont été bien faites à cette époque-là. On appelle cela du management top-down : je commande et je contrôle.
Le manager 2.0, je le situe plus aux alentours des années 2000. C’est un manager qui est en général encore dans une organisation de type pyramidal, voire matriciel. Il est déjà beaucoup plus dans l’interaction avec ses équipes, il est à l’écoute, il va tenir compte du ressenti de ses équipes et va ensuite passer à l’action. Il est conscient que la transformation numérique est importante, donc il va faire la promotion de la mise en place du site internet pour l’entreprise, il va digitaliser des processus simples comme la facturation etc.
Par contre, il n’a pas encore appréhendé le tsunami de l’intelligence artificielle simplement parce qu’on n’en parlait pas à l’époque comme on en parle aujourd’hui.
Le manager 3.0 est justement celui qui a compris l’impact et les enjeux de l’intelligence artificielle, qui a également une bonne conscience des compétences spécifiques à développer. Nous allons y revenir. Suivant mon slogan, le manager 3.0 est le manager qui va collaborer avec les robots. J’utilise le terme « robot » de façon un petit peu provocante.
Que veut dire collaborer ? Le manager 3.0 va réfléchir à la division optimale du travail entre les robots et nous, les humains. Il y a des choses que les robots vont faire mieux que nous, nous le confions aux robots, cela va nous dégager un certain nombre de tâches répétitives et ennuyeuses, et nous, nous allons faire le reste du travail. Donc il va collaborer avec les robots, mais il va surtout coopérer avec ses équipes. Coopérer veut dire travailler ensemble à une œuvre commune avec un lien émotionnel fort dans l’équipe pour arriver à l’objectif. Tel est, pour moi, le manager 3.0.
Il a bien compris le bon job que pourraient faire les robots, mais il est très, très conscient que notre spécificité d’humain se trouve dans notre intelligence émotionnelle et notre créativité.
Quand j’étais en train de finaliser l’écriture de mon livre « Manager 3.0 », j’ai quelqu’un de très bien intentionné, un ami, qui m’a dit « Christian, le 4.0 existe déjà, nous utilisons 4.0 pour justement décrire les entreprises qui sont en chemin vers la mise en œuvre de l’intelligence artificielle dans leur business process ». Cela m’a inquiété le temps d’une nuit et de la journée qui a suivi parce que je me suis dit « est-ce que je suis effectivement à côté avec mon manager 3.0 ? » J’ai alors fait quelques recherches, parce que je connaissais le concept de management 4.0.
Le management 4.0 est le management des entreprises libérées, le management qui caractérise un mode de fonctionnement où on est dans la co-gestion, la co-décision, des stratégies qui sont organo-intuitives. Donc je pense que c’est un management qui existe, qui peut très bien fonctionner pour beaucoup d’entreprises. Par contre, c’est un type de management qui est encore très, très loin pour beaucoup, beaucoup d’entreprises. Or, l’importance de ce changement est que la transformation numérique est maintenant. Un management qui était quand même plus cadrant, un management qui donne la direction et qui dit « maintenant, on y va, je vous explique pourquoi et je vous emmène avec vous », ce qui est le management 3.0, je pense que c’est le type de management qui est adapté pour les transformations numériques qu’il va falloir faire maintenant.
Pour info, nous avons fait un sujet sur le management de l’entreprise libérée que vous pouvez retrouver et qui est un très bon lien. Nous revenons sur la définition de l’entreprise libérée, il y a un certain nombre d’auteurs sur le sujet avec deux entreprises qu’ils ont mises en place. Entreprise libérée ne veut pas dire automatiquement la mise en place de l’intelligence artificielle dans l’entreprise, nous sommes sur un autre fonctionnement, même si certaines sont très en avance sur le sujet.
Comment introduire l’intelligence artificielle au sein de l’entreprise et de l’équipe ?
Pour moi, il y a trois axes qu’il faut que nous traitions. Le premier concerne les compétences du manager global. Nous allons rentrer dans le détail. Puis, comment met-on en place l’intelligence artificielle au sein de l’entreprise ? Enfin, comment fait-on en sorte que tout le monde s’adapte ? Il y a un vrai processus de changement au sein des structures. Tu abordais tout à l’heure des compétences essentielles pour ce manager, nous parlons d’intelligence émotionnelle, mais pas seulement.
Tout à fait. Je structure mon discours, mes conférences et mes formations en matière de compétences à développer pour le manager 3.0 autour de quatre thèmes. Nous avons déjà abordé un premier thème qui est quand même très important.
Le manager 3.0 est un manager qui est curieux et qui est connecté à son environnement. Ce n’est donc pas un manager qui a la tête dans le sable, c’est un manager qui voit ce qui se passe autour de lui, qui comprend les enjeux et les opportunités qui sont apportés par la transformation numérique et l’intelligence artificielle. C’est un premier point, nous en avons parlé, je ne vais pas trop y revenir.
Le deuxième point, c’est qu’à partir du moment où il a décidé d’avancer, il doit développer sa créativité, parce qu’il s’agira de challenger le statu quo, et d’être force de proposition, mais développer sa créativité en mettant le client au centre du processus d’innovation. Ce qui est important. Nous pouvons avoir des entreprises ou des startups avec des ingénieurs qui vont faire des trucs tout à fait extraordinaires et qui vont juste faire flop dans la foulée parce qu’ils auront oublié de réfléchir à : qui est mon client, quels sont les points de douleur, quelle est la promesse que je leur propose et dans quelle mesure serai-je capable de tenir cette promesse. Passer à l’action en étant créatif est une compétence particulière.
Nous parlons de design thinking, par exemple, qui est un processus d’innovation qui était documenté par la Stanford University et qui fait passer le manager ou l’équipe au travers d’un certain processus de façon à être en contact avec la réalité du marché du client, ensuite de développer ce qu’on appelle un proof of concept qui est une première version de la solution, de tester cela, l’améliorer par itération, puis d’avancer. Donc développer cette capacité à être créatif de façon structurée est une vraie compétence. La créativité est de générer un maximum d’idées, bonnes et mauvaises, rapidement. L’innovation, c’est encore autre chose.
Nous sommes d’accord que cela va au-delà d’un brainstorming.
Absolument. Un brainstorming peut être très sympa, il fait partie du processus de design thinking parce qu’il faut pousser les portes à un moment donné, ouvrir les barrières et stimuler la quantité d’idées par rapport à la qualité des idées. Donc cela passe dans le processus. Mais dans le processus de design thinking de Stanford, il y a des étapes avant et il y a des étapes après.
Tout le monde peut-il être créatif ?
Très bien. Comment devient-on créatif ? Cela ne s’apprend pas, il y a des gens qui ne sont pas faits pour être créatifs.
Je dirais oui et non, un peu une réponse de Normand. Certaines personnes vont avoir un mode de fonctionnement, je dirais même une construction du cerveau qui va faire qu’ils vont plus être orientés futur, concept, nouveauté. Tandis que d’autres vont plus être orientés « je suis dans le présent, je fais attention aux détails et la routine me convient bien ». Mais le processus d’innovation va bien fonctionner si nous avons les deux. Si nous n’avons que des rêveurs qui font des plans sur la comète et que ce n’est jamais connecté à la réalité du présent, nous n’allons pas avoir de processus d’innovation. C’est une partie de ma réponse.
Effectivement, tout le monde n’est pas aussi créatif. En même temps, ce qu’il est possible d’apprendre, c’est quelles sont les bonnes pratiques en matière de processus d’innovation. Le modèle de la Design University de Stanford, qu’on appelle le design thinking, propose cinq ou six étapes bien décrites, bien documentées au travers desquelles nous pouvons passer pour avoir un processus d’innovation qui est OK. Nous pouvons soit faire appel à des super mega consultants super chers qui vont nous accompagner et nous prendre par la main par rapport à cela, mais nous pouvons également juste comprendre le modèle et, avec une petite équipe et la juste motivation, décider de passer au travers de ce processus qui n’est pas nécessairement un processus très, très compliqué. Cela s’apprend aussi, de là ma réponse oui et non.
Nous ferons un épisode sur le design thinking, je pense.
C’est aussi dans mon livre puisque c’est quelque chose qui a l’avantage d’être assez immédiat, assez juste et qui peut être appliqué de façons diverses et variées.
Pour reprendre les compétences du manager 3.0 : il est curieux et connecté à son environnement, il est créatif et met le client au centre de son processus. Il a développé son intelligence émotionnelle pour emmener son équipe dans le changement. Pourquoi ce dernier est-il important ?
Un changement pour une personne, pour une équipe, pour une organisation, c’est inconfortable. Je n’ai pas envie de changer. J’aime bien mon processus, j’aime bien ma routine, j’ai mes dashboards, j’ai mes tâches, je fais cela depuis un ou cinq ans, on me demande de changer, je n’aime pas. Il y a donc nécessairement de la résistance. L’intelligence émotionnelle est un concept qui a été documenté par un psychologue qui s’appelait David Goleman dans les années 90, si je me souviens bien. Il a décrit l’intelligence émotionnelle en disant que c’est le fait d’avoir conscience de soi et être capable de gérer ses émotions, moi avec moi-même.
Ensuite, avoir une conscience sociale, être capable de comprendre ce que les gens autour de moi ressentent. Puis, la phase suivante est être capable, étant donné que j’ai compris ce que mon environnement ressent, d’emmener le groupe vers le changement ou une prochaine étape. Ici, le manager 3.0 va être capable de reconnaître que le changement peut être difficile pour son équipe ou certaines personnes. En conséquence, il va adapter son mode de communication ou son mode de fonctionnement. Il y a un modèle qui est plutôt utilisé en psychologie qu’en management et que je trouve très pertinent, c’est le modèle de la courbe du deuil.
Que veut dire deuil ? C’est lâcher ou laisser derrière soi quelque chose. Le deuil, pour une personne, c’est que cette personne n’est plus là, elle est décédée ou il y a une séparation et il y a un deuil à faire de la personne. Le deuil dans l’entreprise, c’est le fait de lâcher une situation confortable. Ce que cette psychologue, Dr Kübler-Ross, a démontré au travers du processus du deuil, c’est qu’il y a nécessairement un certain nombre d’étapes qui doivent être passées pour avoir fait le deuil.
La première étape est le processus du déni. Je suis sidéré, on m’annonce quelque chose, ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, je refuse cette nouvelle qui m’atteint, je la garde en dehors de moi.
Ensuite vient la colère. Je suis en colère contre ce qui m’arrive. Pourquoi moi ? Pourquoi notre équipe ? Pourquoi est-ce que c’est dans notre équipe qu’on veut mettre en place des chatbots qui vont remplacer la moitié des opérateurs et de mes collègues. Je suis en colère.
Puis, vient le moment de la tristesse. On a traversé un peu la colère et on est juste triste de ce qui est arrivé, mais on commence à se rendre compte que c’est un peu inévitable, et donc il va quand même falloir aller avec le flux.
Quand on passe le moment de tristesse, on a à ce moment-là le début de l’acceptation : je commence à accepter ce qui se passe.
Ensuite, on est dans la co-construction : je vais être un acteur du changement.
Ce qui est important pour le manager 3.0, c’est qu’il reconnaisse, qu’il comprenne et qu’il soit conscient de ce processus. En fonction de l’endroit où se trouve son équipe, il va avoir une communication ou l’autre. Donc quand il y a l’annonce d’un gros programme de changement, la première partie va nécessairement être du déni et de la colère si le changement est inconfortable.
Face à du déni et de la colère, ce qu’il ne faut pas faire, c’est survendre le projet avec des arguments rationnels que l’équipe ne va juste pas être capable d’entendre. Si je prends l’exemple de mon service client que l’on va équiper d’intelligence artificielle pour remplacer une partie du travail des opérateurs et que je dis « vous savez, cela va nous permettre d’avoir un taux de réponses de 90% dans les deux heures, c’est ce que fait la concurrence, donc nous ne pouvons pas ne pas le faire, nous devons également économiser et en faisant cela, nous avons avoir un payback de deux ans », les gens ne sont juste pas capables de l’entendre, ils vont freiner encore plus.
Donc, par rapport à cette première partie, ne pas être dans l’argumentation raisonnée qui parle au cerveau gauche mais être seulement dans l’écoute. OK, nous allons faire ceci, j’entends vos difficultés, quel est problème, pourquoi est-ce compliqué, que pouvez-vous partager pour nous aider à avancer ? Sur cette première phase, il faut être dans cette énergie d’écoute attentive et d’empathie.
Puis, peut-être deuxième ou troisième réunion sur le sujet, il y a des choses qui ont été expliquées, les gens ont eu l’occasion de sortir leur émotions, de partager les choses, donc il faut être un petit peu plus disponible pour commencer à écouter d’autres arguments. Ils vont peut-être passer par cette phase de tristesse et se rendent compte que c’est bien un changement mais peut-être pas aussi catastrophique que ce qu’ils avaient prévu, donc ils vont commencer à se projeter dans la nouvelle situation, ils vont commencer à accepter.
À un moment donné, nous allons avoir des gens qui vont être acteurs du changement et qui vont dire « OK, mais pour que cela fonctionne vraiment, vraiment bien, il faudrait une phase de transition comme ceci ou comme cela, il faudrait réfléchir comment former telle ou telle personne pour que ceci ou cela », et ils vont être dans la co-création. Ce mode de fonctionnement n’est possible qu’à partir du moment où le manager 3.0 a développé son intelligence émotionnelle, qu’il est d’abord lui-même capable de comprendre son propre comportement et qu’il est capable d’écoute et d’empathie par rapport à ses équipes. Cela manque très, très souvent.
L’intelligence émotionnelle, comment l’avoir ?
L’intelligence émotionnelle est un mot qui est à la mode depuis quelques années, ce n’est pas quelque chose d’inné chez les gens. Est-ce qu’on se forme à l’intelligence émotionnelle ? Quelles sont les bases ? Je pense qu’il y en a qui sont plus ou moins « proches » du sujet, d’autres qui pensent que l’on ne doit pas parler d’émotions dans l’entreprise.
C’est vrai ce que tu dis. Il est important de comprendre que notre intelligence logico-mathématique, qui est super résumée au travers du quotient intellectuel, c’est quelque chose qui est relativement inné. Nous allons avoir un niveau d’intelligence sur cette intelligence logico-mathématique.
L’intelligence émotionnelle, à contrario, est quelque chose qui peut se développer. Nous allons avoir un capital potentiel qui n’est pas le même chez tout le monde, mais je pense que tout le monde peut arriver à un niveau de maturité émotionnelle minimum pour être capable de bien fonctionner en entreprise.
Il y a des gens qui vont être hyper sensibles à cela, ils vont voir quelqu’un entrer dans une pièce et vont tout de suite comprendre, ressentir à un niveau presque inconscient si la personne est bien ou pas bien, si elle est en forme, si elle a des idées ou, au contraire, si elle est renfermée. Des personnes vont avoir cette sensibilité, vont percevoir l’énergie qu’il y a, bonne ou moins bonne, dans une réunion ou dans une équipe. D’autres ne vont pas du tout avoir spontanément ce genre de réflexes ou ce genre de ressentis.
Quelqu’un qui n’aurait pas naturellement cela, nous pouvons lui donner quelques clés et lui dire que par rapport à un groupe, il y a des personnalités et des modes de fonctionnement différents. Certains sont plutôt extravertis, d’autres sont plutôt introvertis. Certains sont plutôt structurés, d’autres sont plutôt flexibles. Certains vont avoir tendance à prendre de la place et à parler, d’autres beaucoup plus à rester en retrait. Donc expliquer à cette personne que nous ne sommes pas égaux, il y a des styles et des préférences de fonctionnement qui sont différents. Être conscient de cela veut dire que nous pouvons commencer à essayer de comprendre la dynamique d’une personne ou d’une équipe.
Nous pourrions dire au manager qui serait mauvais au niveau de son intelligence émotionnelle que ce serait quand même de bonnes pratiques de démarrer chaque réunion par un court moment d’inclusion. « Jean, as-tu fait ce qui était convenu de la fois passée ? », « Diane, est-ce que tu es en ordre avec le timing qui devait être vérifié avec le fournisseur ? » Là, cerveau gauche, nous sommes dans la mécanique, le rationnel et je pense que cela ne montre pas beaucoup d’intelligence émotionnelle pour l’équipe qui est autour de la table.
Par contre, un moment d’inclusion, « bienvenue à tout le monde, comment nous sentons-nous aujourd’hui, est-ce que nous sommes dans une chouette énergie pour travailler ? Ce projet est important pour nous. Avant que nous démarrions la réunion, est-ce qu’il y a des commentaires que vous voudriez faire ? Est-ce que l’agenda est toujours celui sur lequel nous pouvons travailler ? Nous avons prévu de travailler jusque vers 11h, est-ce que cela vous convient ? », cela montre une certaine intelligence émotionnelle par rapport à la dynamique du groupe.
En cours de réunion, si nous voyons que c’est toujours Pierre, Paul et Jacques qui interviennent beaucoup et que nous en avons deux qui restent en retrait alors que se sont des super experts, l’intelligence émotionnelle est de dire à Pierre, Paul et Jacques à un moment donné « je pense qu’il y a Jean-François et Mathieu qui ont également un avis sur la question. Jean-François, est-ce que tu pourrais nous partager ton point de vue par rapport à cela ? » Je sais que Jean-François est dans un mode de communication plutôt réservé, par contre il est expert, j’ai besoin de son avis et de son énergie dans cette réunion, il ne va pas naturellement partager cela mais j’ai l’intelligence émotionnelle de comprendre comment il fonctionne, de reconnaître sa compétence et je vais l’inviter à venir dans la réunion.
De nouveau, ce sont des choses qui s’apprennent parce que, par rapport à l’intelligence émotionnelle, ou par rapport à beaucoup de modes d’apprentissage d’ailleurs, nous utilisons ce modèle en programmation neurolinguistique et je trouve qu’il est assez fort.
Il y a quatre phases dans l’apprentissage.
- La première phase est que je suis inconsciemment incompétent, donc je ne sais pas que je ne sais pas. Le manager ne sait pas qu’il est nul au niveau de son intelligence émotionnelle et il va changer.
- La deuxième phase est que je suis consciemment incompétent, je sais que je ne suis pas très bon là-dedans mais je fonctionne comme cela et je ne veux pas changer. Je suis déjà conscient, donc peut-être que je peux changer.
- La troisième phase de l’apprentissage est que je suis consciemment compétent. On m’a donné des clés, je sais, parce que je l’ai noté, que je dois démarrer mes réunions en faisant un tour de table, je dois demander si l’agenda est OK, si le timing est OK, je ne dois pas oublier de donner la parole à Jean-François et à Mathieu. Là, je suis consciemment compétent parce que je sais ce que je dois faire et je le fais.
- Puis, l’apprentissage étant ce qu’il est, on devient inconsciemment compétent. Comme on a fait le drill de systématiquement démarrer les réunions de cette façon-là, cela devient normal à un moment donné. « Les gars, allons-y. Est-ce que l’agenda est OK et le timing est bon ? Mathieu, n’oublie pas que j’ai besoin de toi sur ceci ou cela. » Là, on est inconsciemment compétent et on a développé son intelligence émotionnelle.
Ce sont des choses que nous pouvons atteindre, que nous pouvons inculquer à des managers qui n’ont pas naturellement ce style.
Pourquoi parle-t-on de ces compétences beaucoup plus maintenant qu’auparavant ?
Il est vrai que depuis le début de ce podcast, nous lions beaucoup ces compétences de créativité et d’intelligence émotionnelle au fait que demain ce sont les « principales compétences » pour réussir la transformation et l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les entreprises dans la vie de tous les jours. Mais nous pourrions nous dire que ces deux compétences pourraient parfaitement être importantes également dans l’entreprise sans qu’il existe d’intelligence artificielle. Pourquoi est-ce que ce ne sont pas des compétences que nous avons déployées ces 10, 15, 20, 30, 50 dernières années, intelligence artificielle à part ? Nous pourrions nous dire que cela paraît normal de les utiliser en dehors du numérique.
Oui, tu as raison. Je pense que ce qui rend ces compétences d’autant plus nécessaires aujourd’hui, c’est que tout s’accélère et tout va beaucoup plus vite, les changements sont plus forts. Comme les changements vont vite et sont d’une ampleur importante, ce genre de compétences est devenu de plus en plus nécessaire, en tout cas pour les managers.
Tu as raison, nous n’avons pas nécessairement attendu l’arrivée de l’intelligence artificielle pour nous rendre compte que ces compétences étaient importantes. Si tu vas consulter, par exemple, un médecin et que tu as un médecin qui est un gars ultra compétent mais qui a 15 minutes avec toi dans ton agenda et qui va seulement te débriefer dans les grandes lignes les résultats des dernières analyses, « écoutez, sur tel et tel paramètre, monsieur, vous êtes absolument hors norme, je pense donc que vous allez maintenant devoir faire une biopsie parce que cela pourrait être une tumeur maligne et un cancer, mais j’ai mon assistante qui va vous suivre et prendre rendez-vous avec vous », tu vas quand même te sentir un peu mal. Cette personne-là n’a pas d’intelligence émotionnelle, elle ne va pas anticiper l’impact sur toi dans cette mauvaise nouvelle. Tu vas dire « ce gars est peut-être compétent, mais il n’est pas cool, si je peux travailler avec quelqu’un d’autre, au moins aussi compétent mais plus humain, cela aura ma préférence ». L’autre va anticiper le fait que ce soit difficile pour toi et va te donner de l’espace pour réagir.
Nous ne parlons pas d’intelligence artificielle, nous parlons seulement d’une consultation, mais dans cette consultation, il y a une personne que tu vas recommander en disant « il est super compétent, en plus il accompagne, je perçois que ce gars va vouloir se battre avec moi, c’est la personne vers qui je veux aller ». Il fait donc preuve d’intelligence émotionnelle.
Comment être sûr que l’on est bien un manager 3.0 ?
Comment les managers qui nous écoutent peuvent aujourd’hui faire le point en disant « est-ce que je suis vraiment un manager 3.0 » ? Quelles sont les indices ?
Pour moi, l’un des indices, pour revenir un peu aux compétences que nous sommes en train d’aborder, est qu’il n’a pas mis la tête dans le sable par rapport au changement qui se passe autour de lui pour son équipe et son entreprise, donc il est effectivement attentif et conscient des opportunités qui sont présentes au niveau de la transformation numérique et de l’intelligence artificielle.
Si quelqu’un n’est juste pas au courant des moyens d’optimiser les tournées des camions en logistique avec de l’intelligence artificielle, il ne va pas être très bon. S’il reste coincé là-dedans dans les dix ans qui viennent, son entreprise de transport ne survivra pas.
Deuxième indice, quelqu’un qui est peut-être conscient de cela mais qui n’aime pas le changement ou ne va pas essayer de réfléchir comment mettre en œuvre cette nouvelle technologie, donc il ne va pas être créatif, ou il est créatif mais de façon inefficace en ne mettant pas le client au centre, je pense qu’il ne va pas non plus être un bon manager 3.0.
Le troisième point est celui que nous venons d’aborder, il doit être en connexion avec son équipe et avec ses clients pour pouvoir accompagner le changement.
Intelligence artificielle digne de confiance
Puis, la quatrième dimension dont nous n’avons pas encore parlé mais qui est importante pour moi, est que le manager 3.0 se fait le promoteur de ce que j’appelle une intelligence artificielle digne de confiance. C’est un concept qui a été quand même très, très bien décrit par la Commission Européenne qui avait donné briefing à plusieurs dizaines d’experts.
Ils sont arrivés à la définition, à la recommandation qu’une intelligence artificielle digne de confiance doit répondre à trois grands critères.
- Le premier est qu’elle doit être licite, ce qui veut dire conforme aux règlements ou aux lois, elle ne doit pas être hors la loi pour être digne de confiance.
- Le deuxième est qu’elle doit être éthique, ce qui veut dire que cette intelligence artificielle doit être potentiellement un programme qui va respecter des valeurs de base comme l’égalité, la non-discrimination etc. C’est là où je reviens un peu à l’exemple tout au début de notre podcast. Si nous avons des algorithmes d’intelligence artificielle qui viennent calculer ta prime en fonction de ta couleur de peau et de ton âge, je pense que nous sommes potentiellement dans les problèmes par rapport au côté éthique de l’intelligence artificielle. Elle doit être licite ou dans le respect de la loi, éthique ou dans le respect des droits fondamentaux, et robuste.
- Robuste, pourquoi ? Pour pouvoir fonctionner, cette intelligence artificielle doit fonctionner sur une grande quantité de données. Si les algorithmes sont corrompus, nous pouvons avoir des résultats qui sont biaisés, voire qui peuvent détruire de la valeur au niveau business ou faire du tort autour d’eux.
Donc, le manager 3.0 doit quand même réfléchir en disant « je suis en train de mettre en place ici une solution d’intelligence artificielle, est-ce que cela est tout à fait OK au niveau licite ? » Par exemple, deux directeurs de grande chaîne de distribution pourraient décider de développer un algorithme d’intelligence artificielle qui va optimiser les prix entre les deux enseignes de distribution pour maximiser la valeur pour ces deux enseignes. Je dirais que cela peut se faire, mais c’est contraire à la loi sur les pratiques du commerce qui interdit les ententes. Ce serait donc une intelligence artificielle qui ne serait pas licite.
Pour répondre à ta question sur les mesures dans lesquelles un manager 3.0 pourrait faire sa propre autoévaluation par rapport à cela ou avoir quelqu’un qui lui donne du feedback, il doit se demander s’il comprend les enjeux de l’intelligence artificielle pour son secteur, s’il a les compétences pour être créatif, challenger le statu quo et mettre le client au centre du processus, s’il a l’intelligence émotionnelle minimale pour inspirer son équipe et ne pas lui imposer quelque chose qui va amener de la résistance, s’il est conscient qu’il ne peut pas faire n’importe quoi avec l’intelligence artificielle et qu’elle doit être licite, éthique et robuste. « Je n’ai jamais entendu parler de ce truc, je m’en fous », pas bon.
Comment débuter avec l’intelligence artificielle ?
Disons que je suis en retard, l’intelligence artificielle n’existe pas chez moi, est-ce que je dois apprendre à coder ? Est-ce que je dois devenir un expert de l’intelligence artificielle ? Vers qui est-ce que je me tourne ? Quel process puis-je commencer à changer chez moi ? Par quelles étapes est-ce que je mets en place cette numérisation de mon entreprise ?
Non, il ne va pas falloir apprendre à coder. Les managers ne doivent pas coder demain, les managers doivent manager, ils doivent développer des stratégies et emmener leur organisation et leur équipe sur le chemin du succès.
Par rapport à la mise en œuvre, il y a sûrement des choses à faire et des choses à ne pas faire. Pour expliquer cela, j’ai une métaphore qui est celle de l’ascension de l’Everest. Nous allons prendre ici la métaphore en disant que le sommet de l’Everest est la situation où, à terme, dans un, deux ou trois ans, l’intelligence artificielle fait partie de mon organisation, crée de la valeur pour mon organisation, mes actionnaires, mes employés et mes clients.
Par rapport à cette ascension, il y a deux stratégies qui ne vont pas fonctionner. La première stratégie qui ne va pas fonctionner est que je suis au camp de base en bas de l’Everest, je regarde le sommet et je dis « oh c’est haut, c’est froid, c’est dangereux, je n’ose pas y aller, je ne fais pas le premier pas, je reste au camp de base ». Ceux-là ne vont jamais y arriver puisqu’ils ne font même pas le premier pas. C’est une première stratégie d’immobilisme qui ne fonctionne pas.
La deuxième stratégie qui ne fonctionne pas non plus est de dire « super facile, je mets mes baskets et je cours tout droit tout seul », ce qui ne fonctionne pas non plus si tu veux faire l’ascension de l’Everest. C’est effectivement trop dangereux d’être tout seul, mal équipé et tu ne vas pas y arriver. C’est le CEO casse-pipe qui dirait « OK les gars, on change tout, on investit beaucoup d’argent dans le truc, on sait faire, on y va ». Je pense que ce CEO-là va avoir des déconvenues.
Si nous utilisons la métaphore de l’Everest, que font les alpinistes qui arrivent en haut ? D’abord, ils sont au camp de base et ils y préparent leur ascension. Quand tu fais l’ascension, tu te poses quelques questions. Est-ce que moi je suis en bonne forme physique pour monter à 8 000 mètres ? Est-ce que mon équipement est OK pour monter à 8 000 mètres, est-ce que j’ai les bonnes chaussures, les bons crampons, les bonbonnes et tout le truc ? Je ne vais pas y aller tout seul, donc est-ce que l’équipe qui est avec moi est capable de monter avec moi ? Je n’ai jamais fait cette ascension, je suis OK, mon équipement est OK, mes collègues sont OK, mais je vais quand même prendre un sherpa parce qu’il sait si je dois passer à gauche ou à droite de la crevasse, il sait où sont les camps numéros un, deux et trois.
Donc la première chose à faire quand on veut démarrer un projet d’intelligence artificielle est de réfléchir où est-ce que j’en suis au niveau de mon camp de base. En l’occurrence, est-ce que j’ai suffisamment de données en quantité suffisamment propre et structurée pour faire tourner un algorithme ? J’ai envie d’avancer, mais est-ce que mes collègues aussi ? Est-ce que mon équipement informatique est OK ou est-ce que je peux outsourcer un certain nombre de choses ? Puis, l’équivalent des sherpas pour monter l’ascension, les facilitateurs technologiques, ce sont les entreprises dont le cœur du métier est d’accompagner les transformations digitales. Est-ce que je vais donc chercher ce sherpa technologique qui va m’aider ? Une fois que cela est en place, je ne vais pas au sommet, je vais au camp numéro un qui est potentiellement un horizon, en fonction du projet, entre trois et neuf mois.
Que vais-je faire durant cette première partie d’ascension ? Je vais un peu tester ma compétence, la compétence de mon équipe, mon niveau de maturité technologique, si je suis à l’aise avec les sherpas. On va prendre un processus assez simple dans l’entreprise pour lequel on sait qu’il existe sur l’étagère des solutions pas trop chères que je vais pouvoir adapter à mon cas. Je vais faire un projet avec un périmètre très limité avec des risques limités et des coûts limités, en fonction de ce que je veux faire. Mais si on veut optimiser un processus de facturation ou un processus de réponse sur des chats sur les sites internet ou autres, on va peut-être se trouver avec des investissements de l’ordre de 5 000, 10 000, 15 000 ou 20 000 euros, un horizon de six mois peut-être, et potentiellement un retour sur investissement dans les 12 ou 18 mois. Ce premier trajet est là pour donner confiance « oui, on peut le faire », et donner envie « on va passer à l’étape suivante ».
Après le camp numéro un, on fait un peu une auto-analyse pour voir ce qui a bien fonctionné et on anticipe d’aller au camp numéro deux. Au camp numéro deux, on fait quelque chose qui est quand même déjà un peu plus ambitieux, qui coûte peut-être un peu plus cher, on aura déjà mieux compris comment faire son business case, on est en confiance ou pas avec les sherpas et on continue avec eux.
Puis, il y a le camp numéro trois et le camp numéro quatre. Cela peut s’étaler sur X années, l’idée est quand même d’avoir une vision. Pour moi, le sommet de l’Everest est quand le management a compris quel rôle peut jouer l’intelligence artificielle pour améliorer fondamentalement le cœur du métier de l’entreprise.
Si vous êtes une entreprise dans le domaine du voyage, vous avez peut-être démarré l’intelligence artificielle pour simplement converser sur internet avec vos clients, mais vous terminez au-dessus, à votre Everest, en ayant compris comment vous pouvez utiliser de l’intelligence artificielle pour développer les meilleurs voyages possibles, complètement personnalisés, avec toujours le meilleur prix pour votre client. À ce moment-là, l’intelligence artificielle est fondamentalement en support de votre cœur de métier qui est d’organiser les voyages.
Quel impact a l’intelligence artificielle dans les métiers de demain ?
Aujourd’hui, on dit qu’un employé de bureau sur deux sera concerné par l’évolution de son métier. On dit que 40% des travailleurs auront besoin d’une formation pour rester employables, c’est-à-dire que le fait que l’intelligence artificielle arrive dans l’entreprise va aussi nécessiter de se former et d’apprendre. On parle surtout que 60% des métiers de demain n’existent pas encore aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il y a plein de choses qui vont arriver et que nous ne maîtrisons pas.
Oui, c’est vrai. C’est une caractéristique de cette révolution industrielle par rapport aux précédentes. Les précédentes révolutions industrielles, vapeur, électricité, technologie et information, ont principalement concerné les cols bleus, les ouvriers.
Cette révolution industrielle-ci va concerner beaucoup plus les cols blancs, donc les employés, et les managers. Il y a des études qui ont été faites et qui démontrent qu’aujourd’hui, à peu près 30 à 50% du temps du manager est consacré à des tâches répétitives d’analyses et de reporting. Or, ce sont parfaitement des tâches qui demain pourront être reprises par des systèmes d’intelligence artificielle. Donc potentiellement, si on a deux managers, cela peut devenir un manager avec l’intelligence artificielle, sauf si le manager se réinvente dans des tâches de changement, de mise en œuvre de nouveaux processus, d’accompagnement de ses équipes, des tâches qui ne vont pas être faites demain par les robots. Il faut être conscient de cela et l’accueillir.
Le manager va aussi être déstabilisé et un peu stressé parce qu’il est un humain comme les autres. Potentiellement, il aime bien la façon dont il fonctionne aujourd’hui, il n’a pas nécessairement envie de changer. En même temps, son rôle risque de devenir partiellement inutile s’il y a des choses qui sont mieux faites et plus rapidement. Donc il doit juste être dans la conscience : je délègue ces tâches-là à un algorithme d’intelligence artificielle qui va les faire mieux que moi, et moi je développe mon intuition créative, mon intuition stratégique, mon empathie par rapport aux équipes. Il est très, très, très important aujourd’hui d’être en connexion avec ses équipes.
L’un des grands challenges pour les entreprises actuellement est ce qu’on appelle la guerre des talents qui est à la fois l’acquisition des nouveaux talents et la rétention des talents. Qu’est-ce qui fait que les gens viennent travailler chez vous et y restent ? C’est un peu le package salarial, mais aussi est-ce que la tâche que l’on me donne à faire a du sens, est-ce que j’ai de la reconnaissance pour ce que je fais, est-ce que je peux grandir dans mon rôle ?
Le manager est dans ce rôle de manager, coach, pourvoyeur de ressources, il n’est pas dans ce qu’on appelle les injonctions contradictoires. « Cette semaine, cela est très, très important, je supprime ton jour de congé », et le lundi d’après « écoute, on a réfléchi avec le comité de direction, cette affaire de la semaine passée n’est pas du tout importante, maintenant tu travailles sur autres choses », cela s’appelle les injonctions contradictoires, ce sont les premières sources de stress et de non-sens pour les collaborateurs au bureau.
Le manager qui n’a pas développé une autre façon de fonctionner, il ne va pas être capable d’acquérir des talents et de les retenir. Demain, nous avons encore besoin de collaborateurs humains dans toutes les entreprises. À côté d’une entreprise qui serait très mature au niveau technologique, si nous n’avons pas les hommes et les managers qui sont capables de gérer les talents et les faire grandir, cette boite va aussi avoir des problèmes.
Je suis super confiant pour le futur des managers, je pense que le job va être plus passionnant que toujours. Les choses arrivent vite, on parle de 2030, c’est bientôt dans sept ans. L’autre horizon que les scientifiques nous annoncent, c’est 2040-2045. Au niveau de l’augmentation de la puissance de calcul, les projections annoncent à ce moment-là ce qu’on appelle une supra intelligence qui va être bien supérieure à l’intelligence humaine.
Ce qui est un peu flippant, c’est que personne ne sait aujourd’hui ce que cette supra intelligence va faire ni si l’humain va être capable de la contrôler. J’aime bien citer Stephen Hawking qui est un mathématicien, un grand, grand talent qui nous a quittés il y a maintenant deux ans. Il disait « après avoir inventé le feu, l’homme a fait beaucoup de bêtises avant d’inventer l’extincteur », et il dit « la course avec la technologie a commencé, espérons qu’on puisse garder le contrôle de cette technologie et ne pas faire trop de bêtises ».
Je pense que c’est une très bonne conclusion pour cet épisode.